Chronique du 8 Septembre 2025
7 septembre 2025Chronique du 15 septembre 2025
Ce que le soin tisse dans l’ombre
« Il n’y a pas de raccourci vers ce qui se répare lentement. »
— Anonyme
Elle n’est pas arrivée en détresse. Elle est arrivée en silence.
Un silence d’après naufrage. Le genre de silence qui ne cherche pas à alerter, mais à tenir debout.
Elle avait déjà consulté, autrefois. Un psychiatre. Une alliance. Un chemin entamé.
Puis la rupture, un déménagement, et ce découragement que connaissent tant de patients : devoir tout recommencer. Réexpliquer. S’exposer. Reprendre le fil d’une histoire que l’on préférerait ne plus avoir à justifier.
Alors elle a arrêté. Parce qu’elle pensait que ça irait.
Mais la vie, parfois, se charge de rappeler que le passé ne s’efface pas par volonté.
Quand tout a recommencé à s’effondrer, les angoisses, l’insomnie, la tristesse irréductible, elle a d’abord fait ce qu’on fait toutes et tous : elle est allée voir son médecin.
Des médicaments. Des mots rapides. « Ça va aller. »
Mais ça n’allait pas.
Et ce n’est pas une molécule qui allait réparer ce qui n’avait jamais été entendu.
Elle a tenté de s’adapter. Demandé un temps partiel. Essuyé des refus.
Elle a serré les dents. Continué. Comme tant d’autres. Jusqu’à ne plus se reconnaître.
Et cette colère immense, contre elle-même, contre les autres, contre un monde sourd au mal, aveugle à ceux qui vacillent.
Alors, un jour, elle a décidé de reprendre une psychothérapie.
Elle n’espérait plus rien, mais elle savait que sans cela, elle coulerait.
Il a fallu du temps. Beaucoup de temps. Des mois pour trouver la bonne personne. Des années pour oser presque tout dire.
Trois ans. Tous les quinze jours. Quarante-cinq minutes à chaque fois.
C’est beaucoup, pour la société.
C’est presque trop peu, pour elle.
Ce que cette psychologue lui offre ? Une présence. Une humanité. Une constance.
Un lieu où l’on peut être en colère, fragile, cassée, et ne pas être jugée.
Un espace où les mots, petit à petit, reprennent leur place. Où l’on peut enfin nommer ce qui n’avait jamais été dit.
Ce lieu, fragile et puissant, où l’on recompose les morceaux.
Non pas pour effacer le passé, mais pour faire lien avec le présent.
Pour que vivre devienne à nouveau possible.
Il n’y a pas d’indicateur pour cela.
Pas de grille qui dira : « progrès notable ».
Pas de ligne budgétaire qui reconnaîtra : « une vie a tenu debout grâce à cette alliance. »
Mais il y a ce fil, ténu et tenace, que le soin tisse dans l’ombre.
Il y a ces patients qui, grâce à une présence humaine, tiennent un jour de plus.
Et parfois, cela suffit à changer une vie.
Cette chronique est un hommage.
À cette patiente, et à tant d’autres.
À cette psychologue, et à toutes celles et ceux qui, dans leurs cabinets, dans leurs institutions continuent de faire leur métier avec cette rigueur sensible qu’aucune machine ne pourra remplacer.
Ce n’est pas une profession ordinaire.
C’est une responsabilité humaine, profonde, exigeante.
Et elle mérite d’être protégée. Soutenue. Défendue.
Parce que ce qu’elle rend possible, ce sont des traversées de vie.
Et ça, ça ne se mesure pas.
Ça se reconnaît.