Chronique du 1er Septembre 2025
31 août 2025
Chronique du 15 Septembre 2025
15 septembre 2025Chronique du 8 septembre 2025
Être psychologue clinicien aujourd’hui :
chronique d’un effacement programmé
À l’heure des protocoles, de l’efficience et des grilles d’évaluation, que reste-t-il de la clinique ? Cette chronique explore avec ironie et gravité la métamorphose d’un métier fondé sur la subjectivité, la complexité, et la rencontre.
Clinicien : encore vivant ? Pas sûr. En résistance ? Certainement.
Il fut un temps (que les moins de vingt protocoles ne peuvent pas connaître) où le psychologue clinicien n’était pas encore confondu avec un manager de la santé mentale ou un réparateur de symptômes express.
Il écoutait. Oui, écoutait. Avec deux oreilles, un soupçon de présence, et même, comble de l’archaïsme : du silence !
Il accueillait des récits sans début ni fin, des affects en vrac, des angoisses mal rangées. Il ne notait pas de scores, n’envoyait pas de comptes-rendus en PDF pour justifier de l’efficacité de ses silences. Il pensait que la souffrance humaine ne se résolvait pas par une procédure, mais se traversait dans une rencontre.
Un artisan du lien, disaient certains. Un dinosaure, soupiraient d’autres.
Car depuis, les temps ont changé. Et pas qu’un peu.
Métamorphose : de psychologue clinicien à opérateur psychotechnique
Aujourd’hui, pour être un « bon psy », il faut aller vite, penser court, rassurer fort, prouver sans trembler.
On vous demande d’être efficace, mais surtout pas affecté. D’accueillir, mais pas trop longtemps (la 6ème séance ou la 12ème, c’est la sortie). D’être dans l’empathie, mais avec un œil sur la montre et l’autre sur le tableau des indicateurs de satisfaction.
On rêve de vous comme d’un coach zen, flexible mais rentable, apte à administrer la « bonne méthode » à la « bonne personne » dans le « bon timing ».
C’est simple : tu suis le protocole, tu coches les cases, et hop, tu soignes. C’est magique. Scientifique. Efficient.
Mais voilà : la psychologie clinique, la vraie, c’est tout l’inverse.
Mode d’emploi pour époque pressée
Être psychologue clinicien, c’est avoir le goût du pas-sûr, de l’énigme, de la faille. C’est accepter de ne pas comprendre tout de suite, de douter avec l’autre, d’ouvrir un espace où ce qui tremble a le droit d’exister.
Mais dans un monde qui préfère les algorithmes aux ambivalences, cela devient suspect.
Un patient qui va mal depuis longtemps ? : Pathologie résistante, il faut revoir le protocole.
Un psychothérapeute qui hésite, qui tâtonne ? : Manque de rigueur clinique, supervision urgente.
Une parole qui prend son temps ? : Mauvaise gestion du temps thérapeutique.
C’est dire à quel point la psychologie clinique est devenue subversive. Prendre le temps d’un transfert, aujourd’hui, c’est presque faire de la désobéissance thérapeutique.
Chronique d’une disparition annoncée
Le psychologue clinicien est aujourd’hui confronté à un double mouvement :
1. La réduction de son champ d’action à des prestations “tarifées à l’acte”, avec des dispositifs où le soin psychique devient une ligne budgétaire.
2. La réécriture de son identité professionnelle, sommé de devenir l’agent d’exécution de protocoles conçus sans lui.
Bientôt, (peut-être est-ce déjà le cas ?), il recevra ses patients dans un espace partagé avec la photocopieuse, équipé d’un écran tactile où le patient pourra évaluer son niveau de mieux-être toutes les 7 minutes. Une IA synthétisera les propos. Un superviseur validera la « bonne posture » selon la charte qualité. Et le clinicien ? Il remplira les cases. Avec un sourire. Et un master 2.
Résistance poétique et clinique
Mais… Il en reste, des fous magnifiques. Celles et ceux qui tiennent encore le cadre, le lien, le silence, le regard. Celles et ceux qui, malgré les injonctions, continuent de croire que le psychisme ne se traite pas mais se pense, se raconte, se transforme.
Ils sont là, discrets mais déterminés. Ils ne font pas de bruit, mais tiennent bon. Ils savent que la clinique ne s’enseigne pas en trois fiches. Qu’elle se vit, s’affine, se réinvente dans chaque rencontre.
Ils savent que soigner, ce n’est pas appliquer, c’est s’impliquer. Avec tact. Avec doute. Avec un respect radical pour ce qui résiste.
Penser encore, penser autrement
Alors oui, le clinicien existe encore. Pas partout. Pas toujours. Parfois en lambeaux. Souvent épuisé. Mais debout.
Et s’il disparaît, ce ne sera pas par obsolescence. Ce sera faute d’avoir pu continuer à penser librement. À ressentir. À désobéir.
Mais tant qu’il y aura des humains, il y aura des histoires à accueillir. Des détresses à entendre. Des paroles à relancer.
Et tant qu’il y aura tout cela, la clinique ne sera jamais tout à fait morte… Juste un peu cachée. Un peu sauvage. Un peu en résistance.