Articles et interview du M3P : « Rendez-vous chez le psy » : quand la télévision s’invite dans le soin psychique
11 octobre 2025Chronique du 13 octobre 2025
Au commencement était la rencontre
Aurélie Martin, Psychologue – Psychothérapeute
Le soin psychique, ce n’est pas appliquer une méthode. Ce n’est pas faire entrer l’autre dans un outil, même bien construit, même validé. Ce n’est pas choisir une technique à l’avance, mais laisser la rencontre en dessiner les contours. Soigner, c’est rencontrer.
Rencontrer une histoire, un rythme, une langue parfois cabossée, parfois silencieuse. C’est rester ouvert à ce qui résiste aux catégories, à ce qui ne se dit pas d’emblée, à ce qui déborde les formulaires, les diagnostics, les scripts.
On nous demande souvent :
« Quelle approche utilisez-vous ? »
« Est-ce que c’est validé ? »
« Est-ce que ça marche ? »
Mais le soin psychique ne marche pas sur commande. Il ne s’évalue pas à la vitesse du progrès. Il ne s’enseigne pas en tableaux comparatifs.
Ce que je défends, c’est une clinique ajustée : pas floue, pas vague, mais située, rigoureuse, construite pas à pas dans la rencontre. Une clinique qui commence non par l’outil, mais par l’écoute. Une écoute informée, nourrie, plurielle.
Une pluralité nécessaire
Parfois, c’est l’approche cognitive et comportementale qui structure l’expérience, clarifie, soutient l’expérimentation.
Parfois, c’est le regard systémique qui redonne sens à ce qui semble isolé, incompréhensible.
Parfois, c’est l’accueil inconditionnel d’une posture humaniste qui permet enfin de respirer.
Parfois, c’est une approche psychodynamique qui éclaire les mouvements inconscients, les conflits internes, et permet de mettre en sens ce qui se répète ou entrave.
Parfois, c’est le corps qui exprime la souffrance et ce sont alors des approches centrées sur les sensations, le rythme ou la mémoire corporelle qui permettent de relancer le processus thérapeutique.
Parfois, c’est aussi dans le cadre, sa souplesse, sa régularité, sa capacité à contenir, que le soin prend racine.
Et souvent, c’est une composition subtile, une présence tissée de plusieurs courants, non juxtaposés mais traversés d’une même éthique : celle du lien, de l’attention, du discernement.
Pour reprendre les mots de Lionel Camalet, psychologue clinicien et psychothérapeute lors du colloque de la CPL (Convergence des Psychologues en Lutte), le 12 septembre 2025 à Toulon « Le soin psychique, lorsqu’il n’est pas réduit à l’application d’une technique, s’apparente à un artisanat. Rien d’industriel, rien de standardisé, mais la patience des gestes précis, l’attention au détail, la disponibilité à ce qui se présente. Chaque rencontre devient une pièce unique, façonnée dans le secret d’un dialogue singulier, jamais reproductible à l’identique. ».
Cette pluralité n’est pas un confort. C’est un choix éthique et clinique, parfois inconfortable, mais nécessaire. Un engagement à ne pas céder à la facilité de la grille préétablie, à ne pas sacrifier la singularité sur l’autel de l’efficacité apparente.
Penser l’indication comme responsabilité
Choisir une modalité d’accompagnement psychothérapeutique, c’est poser une indication clinique, pas suivre une mode. C’est une décision pensée, fondée sur une compréhension fine de ce qui se joue dans la relation, de ce qui fait blocage, de ce qui demande du temps, de ce qui peut s’amorcer.
Le Code de déontologie nous le rappelle : « Le psychologue choisit et met en œuvre les méthodes adaptées à la finalité de son intervention. »
(Article 12)
Cela suppose de savoir-faire retour sur sa pratique, de connaître les cadres théoriques sans s’y enfermer, de refuser la réponse toute faite, même rassurante.
Une résistance nécessaire
À l’heure où l’on exige des protocoles reproductibles, des résultats mesurables et des soins calibrés, défendre une pratique du lien, du temps et de la subjectivité relève d’un véritable positionnement éthique.
C’est résister à la tentation de faire du soin une simple prestation, et de réduire l’humain à un problème à résoudre.
Ce que je défends, ce n’est pas une école. Ce n’est pas une vérité imposée.
Ce que je défends, c’est une clinique ajustée : une pratique souple, fondée sur une évaluation fine de la demande, du contexte, du lien qui se construit. Une pratique qui s’élabore dans l’écoute, pas dans l’application d’un modèle. C’est une manière d’être au soin psychique, de se tenir là, au cœur de ce qui échappe à la maîtrise, avec exigence, souplesse et attention.
Parce qu’avant toute méthode, il y a une rencontre.
Et dans cette rencontre, le travail psychothérapeutique prend forme.